Francis Bacon

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Quand le peintre illustre le philosophe ou quand le philosophe commente le peintre.
 

Francis Bacon disait qu’il était un des descendants collatéraux de Francis Bacon. Si Francis Bacon n’eût été peintre eût-il été philosophe ? Le philosophe pourrait-il permettre de mieux comprendre le peintre, qui a toujours dit ; « mes peintures n’ont pas à êtres lues au-delà de ce qui est vu » Bacon associe vision et lecture. Qu’en pense le philosophe. Les propos du philosophe auraient-ils une parenté avec ceux du peintre ? lui répondrait-il en écho ? Singulière filiation entre les deux hommes, le philosophe est le père de l’empirisme, homonyme parfait, Francis Bacon – 22 janvier 1561, 9 avril 1626, baron de Verulam, vicomte de Saint Alban. Francis Bacon 28 octobre 1909, 28 avril 1992, peintre.

Le philosophe anglais laisse des écrits sur la jurisprudence, la politique, l’Histoire, la morale et la philosophie. Ils sont tous compris dans un vaste ouvrage que l’auteur nomme Instauratio magna. Bacon est considéré comme le père de la philosophie expérimentale : l’idée fondamentale de tous ses travaux est de faire, comme il le dit, une restauration des sciences, et de substituer aux vaines hypothèses et aux subtiles argumentations qui étaient alors en usage dans l’école l’observation et les expériences qui font connaître les faits, puis une induction légitime, qui découvre les lois de la nature et les causes des phénomènes, en se fondant sur le plus grand nombre possible de comparaisons et d’exclusions. Francis Bacon rédigea à la fin de sa vie un petit ouvrage inachevé ; « De historia vitae et mortis ». Cet ouvrage est traduit en français par Céline Surprenant sous le titre : Sur le prolongement de la vie et les moyens de mourir.

Cet ouvrage ne promet nullement le chemin vers l’immortalité ou vers un prolongement de la vie. Bacon dans les notes que composent cet ouvrage observe et décrit en usant d’une démarche scientifique, la dissolution qui advient avec le temps des corps inanimés et tire des enseignements sur l’âge et le devenir des corps organiques. Suivent alors des explications sur la décomposition de la matière et sur la façon de la protéger ou du moins de prolonger son bon état : fruits saupoudrés de farine, boiserie recouverte de vinaigre, boissons scellées dans leur flacon de façon à ne pas les altérer. Le philosophe qui sera le premier à utiliser le mot d’euthanasie, la bonne mort dans son étymologie (ευθανασία – ευ, bonne, θανατ mort) explore les confins de la mort sur divers corps, végétaux, animaux et humains. À l’image de Platon Bacon nous dit philosopher c’est apprendre à mourir. Les tableaux de Bacon ne seraient-ils pas les parfaites illustrations des observations de son ancêtre ?

Peut-on lier les théories sur la matière de l’un et les tableaux de chair de l’autre ?

Ne faire que juxtaposer l’un et l’autre dans un premier temps.

« … ainsi, puisque le sang est la véritable sève et l’irrigation du corps, et puisque la nature du sang dépend du foie, il a estimé qu’il était évident que le corps est détruit par ce dessèchement du foie ». 

Francis Bacon ; philosophe (1561, 1626)

Triptyque inspiré de l’Orestie d’Eschyle (1981, Astrup Fearnley Collection, Oslo).

Francis Bacon ; Peintre (1909, 1992)

« Nous voyons que les corps solides qui ne sont pas nourris et qui subissent les ravages du temps et ses vicissitudes sans être surpris par la putréfaction sont d’abord tendres, puis durs, et ensuite secs, et immédiatement après, poreux, fissurés, ridés, pourris, rouillés, et au dernier point putride comme s’ils avaient été réduits en cendres par une combustion encore plus subtile que le feu n’en est capable, et, enfin, ils passent et, pour ainsi dire, s’en vont dans l’air. Et ce processus entier n’est rien d’autre qu’une triple action, c’est-à-dire l’atténuation, et immédiatement après, la fuite de la partie atténuée qui reste ».

Autres visions :

« Les corps deviennent de plus en plus creux et résonnants, ou tantôt, parfois par suite du changement même de la surface d’un corps, du lisse au rude et au soulevé, où l’on observe non pas tant la fuite que l’immigration (…) Car dans les corps qui ne sont guère poreux, mais qui sont souples, et donc plus compacts, l’esprit ne trouve pas de passages et de moyens par lesquels s’envoler secrètement, mais pousse clairement devant lui les parties épaisses qu’il a étendues et façonnées, et les repousse avec violence à la surface du corps – comme cela se produit dans toute pourriture, et aussi dans la rouillure des métaux »

Nombre des œuvres du peintre, triptyque, août 1972, et nu féminin debout dans l’encadrement d’une porte 1972 –exposent des corps se prolongeant en tâche. Les deux Bacon insistent :

« Dans les corps de profondeur ou épaisseur, le mouvement de contraction qui est ramené à la surface du corps est retenu par son contact avec la matière située sous la surface, sauf si celle-ci est si molle qu’elle n’empêche pas le froncement (…) Cependant, si les corps ne sont pas seulement de petite épaisseur, mais aussi étroits, ils ne font pas que froncer, mais se retournent sur eux-mêmes par suit de resserrement et se ramassent en volutes, comme la membrane desséchée par le feu et le brûlement du papier, dans lesquelles on peut aisément observer non seulement le froncement, mais aussi le retournement et l’enroulement de quelque chose sur soi. Et tel est le véritable processus par lequel les corps inanimés et consistants vont vers la dissolution ».

On le voit chez les deux Bacons la réflexion prend des chemins parallèles, sans jamais savoir si l’un illustre l’autre ou au contraire si les textes du philosophe sont les commentaires de l’œuvre du peintre.

« Les corps sont situés de manière à être agités ; (…) dans un endroit clos (…) les corps exposés nus (…) dans le même état dans le même mouvement ».

On voit les cages de verres ou de fil, enfermant l’Innocent ou des corps forniquant.

TTriptyque 972, Tate Gallery Londres ( huile sur toile2175 x 1668 x 1102 m)

Nu féminin dans l’encadrement d’une pporte 972,

Le philosophe -–« L’action de l’esprit est de telle sorte que si les parties les plus épaisses de la chose se sont relâchées ou sont devenues souples et molles, comme dans les liquides, l’esprit non seulement atténue et amollit, mais aussi, parfois, sépare et divise ou, bien au contraire, parfois unit les choses et les mélanges » ;

Le peintre – « Ce que je m’applique à faire, c’est distordre la chose bien au-delà de son apparence normale ; mais tout en distordant, je veux l’amener à attester cette apparence qui est la sienne» ».On retrouve dans ce texte Carcasse de viande et oiseau de proie.

Étude d’après le portrait d’Innocent XX ar Velasquez, 1953 Huile sur toile 153 xx 18 Des moines Art center Iowa.

Étude pour nu.

« Les parties exsangues particulièrement, comme les nerfs, les membranes, les tuniques, les eaux et autres parties semblables peuvent difficilement être récupérées une fois qu’elles ont perdu leur flexibilité, leur mollesse et leur substance, et elles sombrent dans l’atrophie ».

« Quant aux désirs et aux appétits des parties les plus épaisses et aux actions fondamentales e leur nature, cinq grandes différences sont dignes d’être signalées : le repos, l’attirance, vers son semblable, la fuite du vide, la fuite devant un corps contraire et l’évitement de la torture. Chaque être tangible et épais est donc marqué par une torpeur innée » .

Carcasse de viande et oiseau de proie  11980 uile sur toile 1.980 m x 11.470 . 

Lyon, Musée des Beaux-Arts

« L’esprit échappé dessèche le corps ; l’esprit retenu le liquéfie, mais ni celui qui s’échappe ni celui qui est retenu ne le vivifie et produit des membres (…). Il sort, et la masse de la chose qui reste se contracte et se durcit ».

 

On le voit le philosophe et le peintre parcourent les mêmes territoires, des territoires inconnus, espérant y découvrir quelque chose, quelque chose que seul l’accident leur dévoilera. Bien sûr cet homme accidentel jamais ne se dévoilera il passe du visible à l’invisible, ils jouent avec l’impossible. La peinture comme la philosophie se promènent sur des terrains vierges, mais accidentés à jamais inexplorés laissant le questionnement sans réponse. Le philosophe et le peintre se promènent sur un fil ce sont des équilibristes d’une gymnastique secrète. Ils ne sont ni peintre ni philosophe, ni chirurgien, ni boucher, ils sont homme de chair, plus encore homme viande. Peintre et philosophe explorent le monde brutal de l’homme, de son théâtre tragique, pourtant sans pathos, sans sentiment.

« Je m’occupais avec ardeur d’une ou deux expériences sur l’endurcissement et la conservation des corps, et tout me réussissait à souhait, quant chemin faisant il me prit entre Londres et Highgate, un si grand vomissement que je ne sais si je dois l’attribuer à la pierre, à une indigestion, au froid ou tous les trois ensembles ».

Les lutteurs Muybridge

Auto portrait  1971 huile sur toile 0.355 m.x 00.305 .

Paris, Musée national d’art moderne -–Centre Georges Pompidou

Deux ffigures 965

Bibliographie: :

  1. Gilles Deleuze, Francis Bacon, Logique de la sensation, Paris, La Différence, 1981

  2. Philipe Sollers, La Guerre du Goût, éd. Gallimard, 1994 ; Éloge de l’Infini, éd. Gallimard, 2001.

  3. David Sylvester, Francis Bacon à nouveau, édition originale anglaise Thames & Hudson, 2000 et traduit de l’anglais par Jean Frémon, éd. André Dimanche éditeur, octobre 2006.

  4. John Russel, Francis Bacon, Chene.

  5. Daniel Farson, Aspect d’une vie, Le promeneur.

  6. Philippe Dagen, Francis Bacon, Cercle d’art coll. « Repères contemporains », 1996.

  7. Alain Milon, Bacon, l’effroyable viande, Paris, Belles Lettres, col. Encre marine, 2008.

  8. Frank Maubert, L’odeur du sang ne me quitte pas des yeux, Conversation avec Francis Bacon, Mill et une nnuit 009.

  9. Francis Bacon (traduction Céline Surprenant) Sur le prolongement de la vie et les moyens de mourir, Rivage Poche, Petite bibliothèque.

  10. Francis Bacon, Du progrés et de la promotion des savoirs. Tel/Gallimaire, 1991.

À partir des textes de Francis Bacon et de Frank Maubert.

 

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